Françoiz Breut

Les sacrilèges de Françoiz s’accumulent tout au long d’un septième (comme les péchés capitaux) album vertigineusement ardent, parcouru par des éclats de rire, de vie et de vit. Au feu : les réacteurs sont en fusion ! Les membres s’embrasent sous le soleil, exactement. Les langues brûlent à force de se nouer et se délier. En une atmosphère caniculaire, les corps s’entremêlent tandis que l’horloge tourne, ralentie par une chaleur anormale. Esprit freudien mal placé ? Nous avons lu Comme des Lapins au lieu de Comme des Lapons (premier titre de l’album) et percevons la luxure dans chaque beat et palpitation de veine rythmant ces dix morceaux vibrrrants, épidermiques, qui se dégustent à l’horizontale, absolument. Après avoir traversé le Zoo que la chanteuse conviait à visiter en 2016, l’auditeur se promène dans la jungle urbaine, parmi coléoptères voletant et autres inquiétants insectes kafkaïens, invité à lâcher prise dans « un brasier immense », « un tourbillon d’éclairs magnétiques », en l’état extatique d’une Sainte Thérèse d’Avila, prise de convulsions, saisie par Le Bernin. Pour son titre Métamorphose, Françoiz s’est souvenue, « du Sein, roman de Philip Roth contant l’histoire d’un homme se transformant en poitrine et de l’ouvrage de Philippe Limon, Phallus, mésaventure d’un personnage qui se découvre, le jour de Noël, sous la forme d’un sexe géant. » 

Elle posait sa voix pour la première fois en 1993, sur le second album de Dominique A, et sortait son premier disque (sobrement éponyme) en 1997. La chirurgienne des sentiments et scruteuse des mœurs contemporaines n’a rien perdu de sa colère, sa curiosité et son appétit. Ce nouveau chapitre de sa déjà riche carrière est né du désir d’épancher sa soif d’expériences musicales inédites. La fructueuse collaboration Neneh Cherry / Four Tet dans la ligne de mire, Françoiz fait confiance à ses fidèles collaborateurs et électroniciens Roméo Poirier et Marc Melià qui font rimer électronique et organique. Un disque kraftwerkien ? Sans aucun doute, à l’écoute de Juste de passage, voulu, selon l’intéressée, comme « une description de paysages routiers, de la cadence des autoroutes, la nuit. Ces routes qui défilent, ces espaces à part, mystérieux et à la fois très inquiétants… » Tout n’est pas rose chez celle qui songe souvent à la vision catastrophiste de La Route de Cormac McCarthy, sidérée par la folie des hommes et déboussolée par « le flot flou de la foule » se déversant dans des cités déshumanisée. L’amie de Diabologum avance sur les pas de Gil Scott-Heron avec son chanté / parlé, scandant la nécessaire urgence climatique. Elle vilipende la gentrification sauvage et interroge les décisions politiques prises à l’aveuglette… 

Fela et Sun Ra sont convoqués. Tout comme la space pop seventies (Il y a une fissure sur le béton, en duo avec Jawhar, « le Nick Drake tunisien »), le dub profond (réminiscences de Zoo, enregistré par Adrian Utley de Portishead), les synthés qui crépitent, les arpèges guitaristiques, les boucles obsessionnelles et sonorités concrètes issues d’un monde qui va mal, pris dans un mouvement vicieux perpétuel, perturbé par une tectonique de plus en plus à côté de la plaque, dans les remous d’explosions à répétition. Le flot flou de la foule, c’est Sea, sex & sun sur la plage d’Ostende, Je t’aime… moi non plus dans les friches industrielles de Charleroi et Hiroshima mon amour sur la rade de Cherbourg. Onze regards sur le monde et autant de titres illustrés par un dessin de la musicienne / dessinatrice. Un fou rire traversant un champ de bataille, instant de jouissance avant le déluge. Une love affair nucléaire. 

« Entre rêves érotiques et sombres réalités crues, cauchemars et fables, fragments de réflexions, désenchantements, dépressions apocalyptiques, sursauts de vie et d’espoirs, j’ai continué à observer, avec une certaine distance, un monde que je comprends de moins en moins. »

09Apr2021

Flux Flou de la Foule

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